Sylvia D. Hamilton: Poésie pour notre époque

 

« Mais bien souvent, la personne qui écrit un poème croit en et dépend d’une délicate et dense palette de différences; elle croit qu’un « je » peut devenir un « nous » sans effacer les autres, qu’il existe une langue partiellement commune, à laquelle les étrangers peuvent apporter leurs propres battements de cœur, souvenirs et images. Une langue qui a elle-même appris des battements de cœur, des souvenirs et des images des étrangers. »

Adrienne Rich, “Someone is Writing a Poem”

 

The Pond - Sylvia Hamilton

 

Tandis que la pandémie s’installait, il y a quelques mois de ça, je m’installais aussi. Des livres que j’avais oublié avoir possédés sont réapparus. Ma platine de 33 tours m’a fait signe. J’ai du temps pour trier, passer en revue, écouter. Savourer mes vieux morceaux préférés : Sunflower, de Milt Jackson, acheté dans les années 70, en écoutant en boucle le morceau « People Make the World Go Round »; la Symphonie du Nouveau Monde du compositeur tchèque Antonín Dvořák, dénichée dans un magasin de disques d’occasion à la fin des années 90 alors que je faisais des recherches sur le compositeur et arrangeur afro-américain Harry T. Burleigh; Sophisticated Ladies de Duke Ellington, qu’un.e ami.e m’avait emprunté et rendu bien des années après. L’histoire nous dit que les humains sont capables d’adaptation, qu’ils apprennent vite — je ne suis pas entièrement convaincue de cette deuxième affirmation. Avec le temps, cependant, on accepte le changement, on l’adopte, et puis on avance. C’est le moins qu’on puisse faire. C’est le moins qu’on puisse faire pour survivre. Et on aura toujours la musique et la poésie, elles perdurent. 


L’étang

Chaque jour, je prends le chemin qui mène à l’étang,
ça devrait être différent, ça ne l’est pas. Tout 
a changé, rien n’a changé. Un filet de hockey 
rouge sur la touche, un souvenir des parties d’hiver.

Hier, une mince couche de glace; aujourd’hui, une eau libre sombre 
Des arbres dénudés projettent de lugubres reflets. De mauvaises herbes mortes s’étouffent, 
pointant leur tête, cherchant de l’air sur le rivage boueux. 
Tout a changé, le monde a changé. 

Il devrait être différent, il ne l’est pas, il ne l’est pas. 
Oh, où sont les oiseaux—ne chantent-ils plus?
Même les écureuils restent cachés, que savent-ils?
Chaque jour, je prends le chemin qui mène à l’étang.

Méditation du dimanche  


                        D’après « Come Sunday » de Duke Ellington

Deux moineaux se posent sur le treillage à terre.
Je les regarde, ils ne me remarquent pas.
Parfois, c’est comme ça. Je regarde, j’observe, 
je m’interroge sur demain et sur le jour d’après, 
jusqu’à ce que j’accepte que je ne maîtrise rien. Monde, souvent 
utilisé au sens d’universel, comme si en vérité il comprenait
tous les pays du monde. Maintenant, c’est le cas.

Cette chose invisible qui nous consomme, une vieille espèce 
d’ennemi menaçant chaque être vivant, chacune des 7,8 milliards de personnes de la planète. 
Personne n’est en sécurité, aucun endroit pour se cacher, aucun pays n’est à l’abri.

Des milliards, c’est le genre de mots qu’un enfant utilise pour impressionner 
ses amis en racontant une histoire délirante. À quoi ça ressemble,  
un milliard? Quoi d’autre se compte en milliards?

L’argent.

Siri me dit que :
Jeff Bezos vaut 114 milliards de dollars
Bill Gates vaut 106 milliards de dollars
Warren Buffett, 80,8 milliards de dollars
Zukerberg, celui de Facebook, seulement 69,6 milliards de dollars.

Laissez-moi faire le calcul : 7,8 milliards de personnes,
114 milliards de dollars, il—Bezos—pourrait donner
presque deux fois un dollar
à chaque personne. Et si ses copains participaient,
essayez d’imaginer.

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Sylvia D. Hamilton

  • Mentor.e 2008
  • Ancien.ne
Cinéaste primée, écrivaine et éducatrice, elle est reconnue pour ses documentaires portant sur l’histoire, les contributions et l’expérience des…