Épisode #8 - Conscience des autres : établir la confiance avec les autres par l’empathie et l’écoute

 

Animatrice : Sophie Thériault 

Invitée : Christine Brabant

 

Résumé

Dans cet épisode intitulé « Conscience des autres : gagner la confiance des gens par l'empathie et une réelle écoute », la spécialiste en éducation Christine Brabant partage ses réflexions sur ses expériences de recherche dans des milieux où on fait l'école à la maison, notamment dans les communautés hassidiques et autochtones.
La communication est au cœur de son travail pour établir la confiance avec ces milieux, et si la confiance s’établit par l’empathie, elle se construit également par la posture de la chercheuse qui se livre en toute transparence pour se rapprocher de ses interlocuteurs.

 

 

Transcription

Sophie Thériault
Je vous souhaite à toutes et tous la bienvenue à cette série de balados de la Fondation Pierre Eliott Trudeau portant sur la communication et le partage du savoir, un des concepts clés du programme de leadership de la Fondation. Il me fait plaisir, aux fins de cet épisode sur la thématique Conscience des autres : gagner la confiance des gens par l'empathie et une réelle écoute, d'échanger avec Christine Brabant, boursière 2006, dont le travail de recherche avec différents groupes et individus sur des sujets très délicats et des plus pertinents afin de réfléchir à ces enjeux.

Christine Brabant est professeure agrégée au Département d'administration et fondement de l'éducation de l'Université de Montréal. Ses recherches visent une gouvernance réflexive de l'éducation par l'étude des cas particuliers que sont l'école à la maison ou à distance, d'écoles alternatives et l'éducation dans les communautés hassidiques et autochtones.

Ses recherches novatrices, financées par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, font l'objet de nombreuses publications scientifiques et de publications destinées à un public plus vaste. Christine Brabant intervient aussi fréquemment dans les médias et auprès des décideurs publics en lien avec ses travaux de recherche.

Merci beaucoup, Christine, d'être avec nous. Alors tout d'abord, afin que vous puissiez vous présenter plus longuement en lien avec cette série de balados, pouvez-vous nous parler un peu de vous et de la façon dont la communication et le partage du savoir figurent au cœur de votre travail ?

Christine Brabant
Bonjour, d'abord merci beaucoup de m'avoir invitée. C'est un honneur de participer à cette série de balados, et le thème me touche beaucoup. J'ai été vraiment interpellée par cette invitation à cause de ce thème. En effet, le travail de recherche pour moi, c'est quelque chose de très authentique. C'est une curiosité sincère que j'ai pour la connaissance, le contact avec les autres, en éducation en particulier.

Évidemment, la communication est au centre. Cette curiosité-là m'a amenée à aller rejoindre des communautés particulières comme les communautés autochtones, les communautés juives hassidiques, les familles qui font l'école à la maison, et à travailler effectivement avec le ministère de l'Éducation à un moment donné pour revoir le cadre juridique de l'école à la maison. Il s’agit de types d'interlocuteurs qui sont très différents les uns des autres. Je peux dire que je n'ai pas suivi de cours en communication. Je n'ai pas eu nécessairement de mentor prépondérant pour chacun de ces domaines ou de ces groupes. J'y suis allée avec ma sincérité, tout simplement, au départ.

Sophie
Merci beaucoup. Donc, comme vous l'évoquez, vous travaillez auprès de groupes souvent marginalisés, qui peuvent entretenir des rapports parfois de méfiance, avec les chercheurs, avec la recherche. Comment instaurez-vous des communications efficaces et enrichissantes avec vos interlocuteurs en recherche ? Comment établissez-vous la confiance dans ces communications ? Et pourquoi, selon vous, est-ce important ?

Christine 
Je pars de la fin de votre question. C'est important parce que ça va déterminer toute la richesse de la suite de la recherche, parfois même le fait qu'elle soit possible ou non, qu'elle démarre ou non. Donc, la communication, c'est le point de départ et c'est la trame de fond. Comment je m'y prends ? C’est bidirectionnel. Je dirais que d'abord, c'est formidable si le contact est établi à partir d'un besoin de la communauté. Dans certains cas, les gens sont venus m’interpeller. C'est eux qui sont venus vers moi.
Déjà, c'est beaucoup plus facile de dire : « Je vous écoute, j'ai de l'empathie, j'essaie de comprendre. Je prends le temps et qu'est-ce que je peux faire pour vous? » De leur dire sincèrement, simplement, ce que je pense être capable de faire. D'autres fois, c'est venu plutôt de moi, qui avais un intérêt, qui ai approché des gens. Mais encore là, c'est beaucoup d'essayer de voir s'il y a des besoins de recherche, des besoins de dialogue avec le monde universitaire, avec les décideurs. Par exemple, on peut servir d'intermédiaire entre la communauté et les décideurs ou les autorités. C'est vraiment l’amorce, la communication.

Une fois que c'est amorcé par un ou l'autre, c'est vraiment l'écoute. L'empathie sincère quant à leurs points de vue et aussi de me faire connaître. Parce que si je reste neutre, objective, silencieuse et seulement à l'écoute, il peut rester une méfiance ou des interprétations de la part de l'autre, qui ne connaît pas ma façon d'agir, de réagir, de m'exprimer. D’où je pars. Alors dans chaque cas, j'ai pris des moments pour vraiment me faire connaître aussi. Parfois dans quelque chose de très intime. Par exemple, quand j'ai donné un cours, mon premier cours à un groupe d'Autochtones de différentes communautés, qui étaient rassemblés pour apprendre la direction d'école, je sentais l'élan immédiat de leur dire : « Écoutez, j'ai vécu de l'abus sexuel à l'école secondaire. »

Et puis ça fait que je suis dans quelque chose qui est très sensible. « Quand j'entends parler des pensionnats autochtones, ce n'est certainement pas la même réalité, mais on peut se parler pour vrai si vous voulez. On a tous des blessures, je ne suis pas mieux que vous autres. Je sais comment ça affecte quelqu'un. Et puis je vous remercie de m'accueillir auprès de vous. Je viens toute vulnérables, puis je vais vous accueillir de la même façon. » Un moment d'émotion comme ça, tout de suite, ça change le ton. Ce n'est pas un rapport entre universitaires, professeurs, élèves. Bon, je parlais d’étudiants adultes évidemment. Il y a comme une symétrie qui s'installe dans la relation.

C'est ça, je pourrais vous conter des histoires. Un peu de ce genre-là, peut-être moins dramatiques, mais un peu de ce genre-là, pour chacun des groupes avec lesquels j'ai travaillé. Ce que je pense de l'éducation, comment je suis avec mes enfants, quels sont mes réels intérêts, mes questionnements, mes curiosités. Et en entendant parler comme ça, ils peuvent avoir une impression de quel genre de personne je suis. Est-ce que je porte des jugements rapides ? Est-ce que je catégorise les gens ? Est-ce que j'ai plutôt de la nuance, de la chaleur, de la compréhension ? Donc, il faut se révéler pour être connu autant qu'on se tourne vers l'autre aussi. Ce n’est pas un précepte, mais personnellement, ça a été ma façon de faire, et ça a bien fonctionné.

Sophie
Merci. La prochaine question va permettre de bien compléter cette réponse. Comment peut-on entrer en contact avec des personnes, des communautés ou des organisations qui ont des connaissances importantes à partager, mais qui, historiquement, ont eu de la difficulté à accéder aux établissements universitaires, à la communauté des chercheurs ou à d'autres lieux de mobilisation des connaissances ?

Les communautés avec qui vous travaillez, qu'elles soient autochtones ou autres, sont certainement dans cette situation. Autrement dit, comment pouvons-nous combler les écarts de connaissances dans nos sociétés et dans le monde?

Christine
Je pense qu’à partir d’où on est en tant qu'universitaire, il y a la possibilité de se proposer comme intermédiaire, comme porte-parole, comme porte-voix. Par des recherches plutôt descriptive, on peut offrir d'écrire, de rapporter, de faire entendre les propos de communautés, que ce soient des communautés culturelles, des communautés de pratiques comme l'école à la maison. C'est des gens qui peuvent avoir différentes appartenances, mais qui ont une pratique marginale en commun. De faire une description de leurs pratiques, de leurs motivations, de leurs difficultés.

Et c'est bien important de ne pas faire ça dans sa tour d'ivoire. Après la rencontre, il y a toujours eu des moments de retour pour faire valider ce que j'avais écrit, pour m'assurer que ça coïncide avec ce que les gens veulent exprimer. En même temps, dans les derniers travaux que j'ai faits avec le comité d'éthique de la recherche de mon université, on s'est assuré qu'il y avait aussi une possibilité d'avoir une certaine indépendance en tant que chercheuse, c'est-à-dire que je puisse parler en toute liberté de ma compréhension, de mon interprétation, voire de certaines recommandations. Alors c'était assez délicat de trouver la zone de confort entre le respect de la parole donnée par les participants et le respect de la liberté académique. Un truc très technique qu'on a trouvé, en fait, ce sont deux moyens qu'on s'est donné en cas de divergence, parce que tant que c’est convergent, il n’y a pas de problème… Mais en cas de divergence, d'une part, tous les écrits que je pourrais produire vont être soumis aux participants partenaires pour peut-être des ajustements, améliorer la formulation, etc. Mais s'il y a vraiment une divergence, je me permettrai d'écrire ce que je veux écrire, et il y aurait dans l'article un espace, un encadré, une section pour avoir un droit de réplique. Donc, le partenaire pourrait à ce moment-là donner sa lecture ou son interprétation, son explication des résultats de recherche. Un autre moyen a été de s'entendre dès le départ, dans l'entente de partenariat, de s'entendre sur une personne qui jouerait le rôle de médiateur en cas de conflit. Donc, une personne choisie par les deux, autant moi que le partenaire et en qui on a confiance pour son désir que la recherche se poursuive, que les participants en bénéficient (les enfants dans notre cas), qu’il y ait toujours la possibilité que ces recherches rapportent un mieux. Donc, quelqu'un qui aurait à cœur la poursuite du partenariat et qui pourrait comprendre les points de vue pour nous aider à trouver un chemin, un chemin pour poursuivre la recherche s'il y avait des tensions.

Sophie
Merci. J'aimerais bâtir sur la dernière partie de votre réponse peut-être pour approfondir un peu. Vous mentionnez que bien souvent, des communautés, des groupes viennent vous chercher en raison de votre expertise. Donc, ils cherchent le partage, à accéder au partage de votre savoir. Quel gain font les groupes, les communautés lorsqu'ils participent à la recherche ? Quels sont les bénéfices de vos partenaires de recherche en lien avec leur participation avec vos projets ?

Christine
J'ai entendu de leur part que déjà le fait de participer, avant même les retombées, mais le moment de la participation, les entrevues, les groupes de discussions, leur donnait un sentiment de légitimité plus grand par rapport à leurs pratiques, à leurs choix, à leurs leur existence, à la place qu’ils veulent prendre.
Donc déjà, c'est un sentiment de légitimité parce qu'ils sont écoutés, parce qu'ils sont valorisés. Je pense que c'est un gain. Et ensuite, quand il y a des publications, évidemment, là, ça donne encore plus une force, une visibilité à leurs points de vue qui est particulier, c'est expliqué, tout ça. Et parfois ils se sont servis des écrits, des résultats de recherche pour des revendications auprès des autorités. Alors, c'est principalement ça. Ça permet de faire un pas de plus dans un dialogue entre ces groupes-là et à l'extérieur du groupe.

Sophie
Merci. Vous répondez en partie à ma prochaine question. Je vais la poser tout de même. Pouvez-vous donner un exemple d'incidence importante d'un dialogue respectueux et d'une communication fondée sur la confiance ?

Christine
Je dirais que chacun des projets de recherche est un exemple d'incidence d'une bonne communication. Là, j'ai parlé du projet avec les Juifs hassidiques qui permet de documenter leur façon de faire. Maintenant, j’ai une étude sur l'école à la maison chez les francophones, donc en Suisse, en Belgique, en France et au Québec, pour expliquer les motivations de ces parents-là et leurs pratiques ainsi que leurs relations avec les autorités scolaires.

Alors le fait que les gens participent, c'est que la recherche s’enclenche, qu’on y participe, c'est déjà la première incidence d'une communication réussie. Mais j'irais plus loin. Et on vient aussi de parler de relations avec les autorités. Bon, il y a évidemment la construction du savoir parce qu'une recherche est une pierre sur laquelle les prochaines recherches vont se bâtir. Donc, c'était la contribution à la communauté scientifique. Et puis, peut-être une autre incidence, plus dans l'ombre, qui me fait plaisir, c'est que tout dernièrement, là, j'ai fait une collecte de données auprès des Juifs hassidiques. Et puis, vu qu’on était en pandémie, que les outils technologiques ne sont pas tout à fait répandus dans ces communautés là-bas, on a fait de la distribution de questionnaires au porte à porte et le recueil des questionnaires au porte à porte. Et j'ai fait ça avec des assistants de recherche. J'ai pris ma voiture. On est allés sillonner les rues avec les adresses. Et il y a eu vraiment des beaux moments où c'est dans des choses aussi simples que d’aller dire à un enfant : « Allô ! Ta maman est-elle là ? On a un questionnaire à échanger. » Pas seulement moi, mais mes assistants de recherche aussi ont pu avoir un contact tellement simple, tellement vrai, tellement ordinaire, que ça fait tomber toutes sortes de préjugés, toutes sortes de barrières, de craintes, de part et d'autre. Les gens nous attendaient dans la rue, savaient qu’on passait, les familles étaient sur les balcons. Et puis j'étais heureuse de voir que cette curiosité que j'avais, cette ouverture que j'ai envers une communauté avec laquelle on n'avait pas nécessairement de contact au départ, s'est étendue à mes assistants et assistantes de recherche. Des jeunes qui ont une curiosité envers la recherche et qui vont eux-mêmes arriver dans ce monde-là, avec moins de préjugés, et la confiance dans le fait qu'on peut établir des contacts. Et on peut travailler ensemble.

Sophie
Alors pour terminer, est-ce que vous avez un livre, un article, une vidéo en balado, un autre média qui a influencé votre point de vue et que vous recommanderiez à nos auditeurs et auditrices, sinon un conseil ou une réflexion sur lequel vous voudriez nous laisser ?

Christine
Peut-être un conseil ou une réflexion. Ce qui me vient en tête, c'est que les questions qu'on se pose sur la communication, la transmission des savoirs, la construction des savoirs peuvent trouver toutes sortes de réponses dans le milieu universitaire évidemment. Donc, on aurait pu trouver dans des livres, dans les articles, des écrits là-dessus et il y en a. Mais fondamentalement, je dirais que moi, ce qui me nourrissait ma vie d'universitaire, c’est le fait de continuer à avoir des activités artistiques, culturelles, sociales, familiales et c'est là que se développent ou se nourrissent des habiletés de communication avec des gens différents de soi.

C'est tout simplement qu'on reste une personne curieuse, diversifiée, parce que le monde universitaire, à un moment donné, avec son style très intellectuel très compétitif, qui est un peu en silo aussi, j'ai l'impression que ça peut nous faire perdre nos capacités de contact avec les autres, de communication, parce qu'on est isolé, où on reste à un niveau de dialogue avec des gens qui nous ressemblent.
J'oserais dire à des jeunes chercheurs ou à des gens qui s'interrogent sur la communication pour établir des partenariats de recherche, que c'est de continuer à développer l'humain en soi de toutes sortes de façons, et pas seulement l'universitaire parce que les gens qu'on va rejoindre, avec lesquels on établit des contacts, ne sont pas des universitaires. Donc, c'est d'autres habiletés qui entrent en jeu. C'est beaucoup plus large et plus profond comme façon d'entrer en contact qu’un dialogue dans un colloque, par exemple.

Sophie
Merci beaucoup.

Christine
Cela me fait vraiment plaisir.