Diversité : de la consultation médicale à la pharmacie

 

Avec Margarida Garcia, Magaly Brodeur et Rouguietta Touré

 

Résumé

Dans cet échange, Margarida Garcia et ses invitées Dre Magaly Brodeur, boursière 2009, et Rouguietta Touré discutent de discrimination et élargissent le concept de diversité pour inclure la diversité sexuelle, neurologique et physique et imaginer des milieux plus sécuritaires et accueillants, autant pour les utilisateurs des services pharmaceutiques et de soins de santé que pour les prestataires desdits services.

 

 

Transcription

Margarida

Chacune et chacun d'entre nous est unique, unique en termes de son parcours de vie, mais aussi unique d'un point de vue psychologique, spirituel, moléculaire, biologique, neurologique. Le domaine de la santé et les milieux pharmaceutiques sont des univers où le respect de cette singularité, la prise en compte attentive de notre différence et de ce qui nous distingue peut tout simplement devenir une question de vie ou de mort. Dans le milieu de la santé, l'équité, la diversité et l'inclusion sont synonymes de justice, de vie, de sécurité et de dignité humaine.

Nos invitées d'aujourd'hui le savent trop bien et ont une expérience vécue des enjeux et des nuances liés à faire du milieu de la santé et du milieu pharmaceutique des univers davantage inclusifs, équitables et attentifs aux enjeux de la diversité. Je suis absolument ravie de recevoir Magaly Brodeur et Rouguietta Touré. Magaly Brodeur est citoyenne canadienne et originaire de la République dominicaine. Elle est médecin de famille et professeure chercheure à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke. Elle possède une formation pluridisciplinaire. Elle est titulaire d'un baccalauréat en économie et incluant une mineure en relations internationales à l'Université de Sherbrooke, d'une maîtrise en histoire politique de l'Université de Sherbrooke, ainsi que d'un doctorat en sciences humaines appliquées de l'Université de Montréal.

Dans le cadre de ses travaux de recherche, elle s'intéresse aux politiques de santé, à l'amélioration de l'expérience-patient ainsi qu'aux populations en situation de vulnérabilité. La qualité de ses travaux lui a valu de remporter, entre autres, le prix du Leadership en médecine de famille du Collège des médecins de famille du Canada.

Gestionnaire des programmes nationaux chez Pharmascience, Rouguietta Touré est titulaire d'une maîtrise en microbiologie et cumule plus de dix-huit ans d'expérience dans le domaine de l'industrie pharmaceutique au Québec. On doit dire de Rouguietta qu'elle est avant tout une passionnée des relations humaines, engagée à promouvoir la diversité dans tous les milieux dans lesquels elle évolue.

Pour elle, et je la cite ici : « Cela prend des personnes différentes pour faire avancer le monde. » Pour cette raison, Rouguietta a initié plusieurs projets prônant la diversité, tant culturelle que neurologique. Elle est présidente-fondatrice d’Ado-Spectrum, une organisation à but non lucratif, qui a pour mission de favoriser l'épanouissement et le développement personnel des adolescents autistes.

Elle a également cofondé le Comité de la diversité et de l'inclusion dans le milieu de la pharmacie, qui est devenu l’OBNL I.D.E.Action, pour concrétiser les actions sur le terrain auprès des professionnels de la santé. À travers ses engagements, Rouguietta souhaite engager la conversation sur les enjeux de la diversité au sein des différents milieux, toujours autour des valeurs inclusives.

Rouguietta et Magaly, bienvenue à Espaces de courage.

Magaly

Merci beaucoup.

Rouguietta

Merci beaucoup, Margarida.

Margarida

Parlez-nous un peu de votre intérêt pour les thèmes de la diversité et de l'inclusion dans votre milieu de pratique. Et pourquoi pensez-vous que c'est vraiment important d'en parler aujourd'hui ?

Magaly

En fait, pour ma part, je vous dirais que la thématique de la diversité et d'inclusion me touche à plusieurs niveaux. Tout d'abord, parce que je suis moi-même une personne racisée et donc, chaque jour dans mon quotidien, je vis avec les enjeux relatifs à la diversité, mais aussi parce que dans ma pratique clinique, entre autres en tant que médecin de famille en première ligne, j’y suis aussi confrontée chaque jour. Donc, comme tantôt Margarida le mentionnait, je suis originaire de la République dominicaine. J'ai été adoptée à l'âge de quelques jours par deux citoyens canadiens originaires du Québec.

Donc, pour moi, j'ai toujours vécu au Québec. Donc, l'adoption, c'était il y a maintenant presque quarante ans. Les temps ont beaucoup changé. Cependant, il reste encore beaucoup à faire en matière de diversité et d'inclusion. Donc, je suis très heureuse d'être ici, avec vous pour en discuter aujourd'hui.

Rouguietta

À mon niveau, la diversité et l’inclusion résonnent beaucoup en moi. C'est sûr que ces valeurs me touchent personnellement, et je trouve cela important d'en parler pour participer à l'évolution des mentalités et que la société, notamment les milieux de la pharmacie et de la santé dans lesquels je travaille, soient plus inclusifs et favorisent notre bien-être à tous.

Il est donc tout naturel de transporter ces éléments dans le cadre de mon emploi à titre de gestionnaire de programmes chez Pharmascience. Je travaille aussi notamment à la création de portefeuilles de services en lien à la diversité et l'inclusion pour les professionnels du milieu de la pharmacie.

Et comme Margarida le disait, je suis aussi fondatrice de l’OBNL I.D.E.Action. Donc, c’est une OBNL qui provient de la mise en place d'un comité de diversité, d'inclusion en pharmacie. Donc, mon rôle au sein de cet organisme est de collaborer à développer des outils ou à faire rayonner des actions concrètes de la communauté afin que le plus grand nombre de professionnels adhèrent et soient sensibilisés à ces questions.

C'est d'autant plus important si l'on considère le fait que les pharmaciens et pharmaciennes sont les professionnels de la santé parmi les plus accessibles au pays.
Au Canada, ils dispensent sept cent cinquante millions d'ordonnances par année. Il n'en faut pas moins pour imaginer la riche diversité au sein de la population desservie par autant d'ordonnances.

Margarida

Oui, en effet. Ce sont des nombres impressionnants, et vous avez toutes les deux parlé de cette envie de participer, de l'évolution des mentalités et du fait qu'il y a encore beaucoup de choses à faire. Et j'aimerais vous entendre sur quels sont les aspects de cette question qui sont moins visibles, disons dans le débat public aujourd'hui, et que, selon vous, nous aurions intérêt à débattre et à mettre au centre de la conversation ?

Magaly

Pour ma part, je dirais que l’un des aspects les moins visibles, qu'on voit dans le débat public, dans les discussions, les échanges, c'est tout ce qui touche la discrimination ou parfois même le racisme vécu par les professionnels de la santé. Donc, on parle beaucoup, beaucoup de discriminations envers les patients, les patientes, par les professionnels de la santé.

Mais on parle moins de la situation inverse, où c'est le professionnel qui subit pour sa part une situation de discrimination. Donc, je pense que c'est quelque chose sur lequel il est important de se pencher. C'est quelque chose sur lequel on n’en connaît peu. Pourtant, il y a beaucoup de souffrance. Il y a beaucoup de situations extrêmement difficiles qui sont vécues chaque jour dans le secteur de la santé, entre autres.

Par exemple, c'est très fréquent que des patients ne veulent pas être traités par un médecin noir ou encore un médecin trans ou, par exemple, pourrait refuser les soins d'une infirmière parce que c'est une femme, Donc, il y a beaucoup à faire. Et puis, il y a des plaintes, par exemple, les patients peuvent déposer une plainte contre un médecin s'ils ont vécu une situation de discrimination.

Par contre, l'inverse est plutôt difficile. En fait, pour les professionnels de la santé, c'est important d'offrir des soins à tous, justement sans discrimination. Mais lorsque la personne est victime de cette discrimination-là, ça peut être plus difficile. Donc, il y a beaucoup de situations inacceptables qui sont vécues par des professionnels de la santé qui sont souvent gardées un peu sous silence.

Margarida

Magaly, c'est un point de vue que l’on n’entend pas souvent, donc, merci de l'amener. Et avant de donner la parole à Rouguietta, j'aimerais vous entendre. Parce qu’en effet, dans un contexte où les médecins ne peuvent jamais refuser des soins à un patient, n'est-ce pas… Comment vous vivez cette expérience ? Quels sont les mécanismes disponible ? Comment gère-t-on les cas de discrimination envers les médecins ? Qu'est-ce que vous avez vu dans votre pratique ?

Magaly

C'est extrêmement difficile pour les professionnels de la santé qui se retrouvent dans des situations comme ça. Donc, responsables avec un peu tout le poids du monde sur les épaules, d'être responsables de donner des soins de qualité, de trouver la problématique de laquelle le patient est atteint, mais en même temps, de devoir aussi vivre avec un patient qui ne veut pas nécessairement obtenir des soins de notre part.

Moi-même, j'ai déjà vécu des situations comme ça, et c'est sûr que c'est super inconfortable parce qu'on peut vraiment aider la personne. Mais c'est difficile justement,  la communication, les échanges sont difficiles. Donc, il y a beaucoup à faire pour s'assurer qu'il y a un environnement sécuritaire, que l’on parle de sécurité pour les patients, les patientes, mais ça prend aussi un environnement qui est sécuritaire, où les gens vont être respectés dans le secteur de la santé.

Margarida

On peut juste imaginer, d'après ce que vous venez de dire, le degré de professionnalisme nécessaire, en fait, pour prodiguer des soins de qualité à un patient qui exprime ses préjugés envers vous. Je pense que ça exige effectivement beaucoup d'un point de vue personnel. Alors, Rouguietta, quant à vous, est-ce qu'il y a des aspects dans votre milieu de cette question que vous pensez qu'on n’en parle pas assez et qu'on aurait intérêt à ramener dans le débat ?

Rouguietta

Oui, en fait, je trouvais les points de vue de Magaly très, très intéressants. Je voulais juste ajouter un point que, selon moi, l'on oublie souvent, c'est que nous parlons souvent de la diversité sous le chapeau de la diversité culturelle, de la race, alors qu'il s'agit souvent d’une notion très large, en fait, qui englobe aussi la diversité sexuelle, neurologique, physique et bien d'autres types de diversité. Il ne faut pas oublier qu'il y a autant de diversité dans notre population qu'il y a d'êtres humains, en fait. Il est pour moi essentiel vraiment d'en comprendre toute l'ampleur, pour pouvoir être de meilleurs professionnels, mais également de meilleurs êtres humains de manière générale. Je pense que nous avons tous un rôle à jouer pour soutenir en fait cette culture de confiance, de bienveillance et de respect les uns envers les autres.

Par exemple, pour une personne trans,le fait de pouvoir aller en pharmacie et que son identité soit reconnue telle quelle et que le processus, par exemple, de traitement de la prescription se fasse aussi simplement qu'un anti-inflammatoires, en fait, ça, ça vaut tout l'or du monde. Et je donne cet exemple comme ça pourrait être un autre exemple. Il faut que ce professionnel soit sensibilisé à ses besoins et à sa réalité. Et je pense sincèrement que le plus gros problème actuellement demeure l'ignorance, en fait.

Margarida

Merci beaucoup. C'est vraiment très intéressant ce que vous venez de nous dire. Donc, de quoi a l’air la diversité dans une perspective du domaine de la santé, dans les milieux pharmaceutiques ? Et comment s'assurer d'une inclusion authentique et bienveillante de différentes populations de façon à ce qu'elles se sentent soutenues de façon équitable ?

Rouguietta

Je dirais que de plus en plus de patients s'expriment sur leur insatisfaction par rapport aux soins de santé reçus, que cela soit à cause d'un manque d'accessibilité aux soins, un manque d'humanité parfois ou de sensibilité, tout simplement, à la diversité du personnel. Ces insatisfactions sont souvent directement liées à des différences culturelles, sexuelles, physiques ou neurologiques. Si on veut tout englober. Nous l'avons vu avec le cas de Joyce Echaquan, qui est décédé dans un hôpital alors qu'elle a été victime de racisme et de discrimination. Donc, on l'a tous vu, et on a été vraiment choqués par cette situation-là. Il faut aussi reconnaître qu'il y a des disparités de traitement à considérer. Si on prend l'exemple des peuples autochtones qui ont un rapport très différent à la médication selon leur culture et leur système de croyances.

De nombreuses pratiques de guérison traditionnelles sont employées depuis des milliers d'années et continuent à être transmises de génération en génération.Il faut absolument aussi considérer leur bagage culturel et leurs traditions lorsqu’on les traite, ou qu’on aborde leur dossier pharmaceutique. Mais prenons l'exemple de la neurodiversité dans son ensemble : par exemple, une personne autiste peut percevoir un geste en apparence anodin comme une agression ou une intrusion.

Elle peut même se mettre en colère si elle ne se sent pas respectée ou considérée. Il faut comprendre en fait certains agissements qui sont normaux ou fréquents chez les personnes neuroatypiques et éviter de tomber dans des préjugés liés à la maladie mentale, je pense. Et pour cela, il faut en parler, il faut briser les barrières et il faut normaliser la différence.

Margarida

« Normaliser la différence », quelle phrase ! Dans votre milieu, Magaly, de quoi a l'air la diversité des perspectives ?

Magaly

En fait, moi, je vous dirais que je vais reprendre certains propos de Rouguietta parce qu'en fait, il y a beaucoup, beaucoup d'ignorance dans le secteur de la santé. Je vous dirais que dans le secteur médical, nous, on est formés en médecine occidentale.

Donc, nous, c'est vraiment une médecine basée sur les preuves. Et puis appuyée scientifiquement. Notre travail de médecins doit aussi être orienté en ce sens. Et puis, ça entraîne souvent parfois une tension avec différents types de médecine alternative. Par exemple, les médecines traditionnelles autochtones, la médecine chinoise, donc beaucoup un manque de connaissances de la part des professionnels de la santé.

Tout d'abord parce que ça ne fait généralement pas partie du curriculum de nombreux programmes, mais aussi parce que sur le terrain, c'est important de prendre en compte ces approches-là. Et puis que ce soit dans une logique de complémentarité. Donc, il faut vraiment s'assurer de rendre nos patients à l'aise et puis leur assurer une forme aussi de sécurité culturelle.

Et puis, c'est quelque chose qui manque énormément et qui fait en sorte justement que l'expérience-patient, le vécu de plusieurs patients peut être extrêmement difficile dans leur parcours de soins parce qu’ils ressentent un manque de reconnaissance, un manque d'écoute, un manque de sensibilité de la part des professionnels de la santé. Donc, c'est cette notion de diversité. C'est, oui, la diversité à l'égard des individus, des différents parcours, mais aussi des différentes manières de traiter les problèmes de santé et puis de les aborder. Donc, une médecine plus inclusive serait une médecine –

Justement – qui permettrait de prendre en compte tous ces éléments-là.

Margarida

Je vous écoute avec vraiment énormément d'intérêt et je vous avoue que je me dis : « Mon Dieu, mais ça impliquerait probablement un vrai changement de paradigme, ne serait-ce que par rapport à l'éducation, n'est-ce pas ? » Alors parce qu’au fond, est-ce que nous sommes prêts à avoir cette écoute dans le milieu de la santé, dans le milieu pharmaceutique, par rapport à des savoirs traditionnels ou des savoirs qui sont différents de ceux de la médecine occidentale, comme vous l’avez dit, Magaly ?
Donc, comment peut-on être formés pour être à l'écoute, pour comprendre, peut-être pour intégrer, comment peut-on surmonter ce défi de l'ignorance ? Comment peut-on surmonter ce défi de ne pas être à l’écoute de paradigmes, de connaissances qui sont différentes du paradigme occidental ? Que faire en termes de meilleures pratiques ?

Magaly

Moi, je dirais que ça passe d'abord par l'éducation, la sensibilisation, l'information; c'est vraiment la clé.

Présentement, il y a plusieurs formations qui sont disponibles, qui sont offertes aux médecins, aux professionnels de la santé qui sont déjà en pratique. Par contre, c’est toujours sur une base volontaire, donc, les gens, oui, peuvent participer, mais seulement s’ils ont un intérêt, s'ils en ont envie. Donc, ça doit vraiment faire partie intégrante des objectifs de certification, les objectifs de formation continue, mais aussi les objectifs dans la formation de base. Il y a plusieurs programmes universitaires qui sont en train de faire des modifications, des adaptations afin d'être plus inclusifs, de sensibiliser justement les étudiants ou les étudiantes à ces thématiques-là.

Mais il y a encore beaucoup qui reste à faire et tant qu'on laisse un peu à la liberté des gens de faire ce qu'ils veulent ou non… Ça doit faire partie intégrante pour s'assurer que tout le monde ait les mêmes connaissances et puisse partir avec les mêmes bases. Donc, je pense que c'est essentiel. Et puis une place plus importante doit être accordée assurément au cours de la prochaine… des prochaines années, de la prochaine décennie.

Margarida

Magaly, une question qui me vient à l'esprit, c'est : « Est-ce qu'il y a de la place si on est un médecin qui, justement, est allé chercher cette complémentarité ou si on arrive avec des milieux, des savoirs qui sont différents ? »
Est-ce qu'il y a une place pour, disons, s'éloigner un peu de l'approche dominante en milieu de la santé ? 

Magaly

Oui, totalement, il y a une place. Il y en a même de plus en plus, je dirais. Il y a beaucoup de médecins qui font des formations complémentaires en médecine alternative. Ce n'est plus rare maintenant de voir un médecin qui va aussi avoir une formation comme acupuncteur. Des médecins qui vont avoir une expertise, des connaissances plus approfondies en médecine traditionnelle autochtone. Donc, ça se voit de plus en plus, c'est de moins de moins en moins marginalisé, en fait, de plus en plus accepté. C’est plus rare. Donc, ça va exiger des recherches supplémentaires pour les patients qui désirent justement accéder à ces professionnels de la santé qui ont une approche plus englobante, inclusive, respectueuse des différentes cultures et approches.

Margarida

Rouguietta, du côté du pharmaceutique, est-ce que vous voyez aussi qu'on évolue vers plus de complémentarité et d'ouverture des approches alternatives ?

Rouguietta

Absolument oui.Et en même temps, il faut comprendre que les formations ne permettent pas toujours de se préparer à de véritables histoires vécues par des membres issus des communautés culturelles, des communautés LGBTQ ou de la diversité neurologique. Aussi, il faut comprendre que la discrimination, le racisme et l’injustice font toujours partie de notre monde, malheureusement, et nos institutions de santé n'y échappent pas.

Donc, ça, c'est certain, il faut le reconnaître d'abord et avant tout, et avoir cette réflexion personnelle qui se positionne par rapport à ce fléau puisqu'il est parfois très, très, très subtil. Il faut, je pense, prendre l'initiative de s'informer, de s'intéresser à la réalité des autres, de s'engager dans la conversation et aussi agir si on est témoin d'une injustice, cela signifie aussi parfois de sortir de sa propre zone de confort. C'est un apprentissage qui, selon moi, continue et qui durera toute la vie. Donc, ça, pour moi, c'est vraiment un point important à souligner.

Margarida

Tout à fait et j'aimerais entendre : pensez-vous qu'une médecine inclusive, une pharmacologie inclusive pourrait aussi passer par l'intégration des médecins d'ailleurs ou même par l'intégration d'autres disciplines dans cette grande tâche qui est le bien-être des populations ?

Magaly

Oui, définitivement, définitivement. C'est la voie à suivre. Il y a un manque – justement – de diversité dans le secteur médical, dans le secteur de la santé. Et puis, c'est une lacune, ce qui fait en sorte aussi que c'est plus dur d'avoir un milieu totalement inclusif si on se rend compte justement que l'ensemble des professionnels, c'est très uniforme.

Donc, je pense que oui, il y a beaucoup à faire. Beaucoup de démarches doivent être effectuées. C'est souvent difficile pour les personnes qui peuvent, qui veulent venir, des étrangers avec des diplômes étrangers, de pratiquer au pays. Plusieurs changements doivent être faits. Tout est « à vitesse tortue », donc, c'est vraiment triste. Et puis c'est une priorité justement qu'on devrait avoir comme société au cours de la prochaine décennie pour faciliter l'intégration, faciliter la diversité dans le secteur, le secteur de la santé.

Margarida

Rouguietta, dans le milieu de la pharmacie, est ce qu'il y aurait une place pour l'intégration de pharmaciens qui viennent d'ailleurs ou pour intégrer à la pharmacie d'autres disciplines qui pourraient apporter cet aspect complémentaire qui nous permet de vraiment mieux saisir d'une façon significative les enjeux liés à la diversité, à l'inclusion de populations ?

Rouguietta

Absolument, absolument. Je pense que c'est même extrêmement important. De toute façon, c'est déjà une réalité qui est ancrée. Les pharmaciens qui viennent d'ailleurs. Et je pense que c'est extrêmement important qu'on puisse intégrer ces pharmaciens-là dans le réseau, parce que non seulement ils reflètent la société québécoise et canadienne, mais le fait qu'ils soient présents aussi aide les autres pharmacien à mieux comprendre justement la réalité de cette diversité-là. Et le fait qu'ils puissent échanger avec leurs collègues, etcetera, je pense que ça ne fait qu’apporter un plus justement à la société et je pense que c'est très bénéfique.

Margarida

Magaly et Rouguietta, je vous invite à un exercice d'imagination. Si on imagine un avenir dans lequel une culture de respect de la diversité et de l'inclusion est un fait accompli, que ce soit dans le milieu de la santé ou dans le milieu pharmacologique, de quoi cela aurait l'air, selon vous ?

Magaly

En fait, pour ma part, je dirais un milieu où est-ce qu'il y aurait une culture de respect, de la diversité, de l'inclusion. Ce serait un milieu où tout le monde doit se sentir en sécurité, écouté, respecté. Un milieu, justement, qui serait proactif, donc à l'affût des situations sensibles qui peuvent être difficiles pour l'ensemble des parties prenantes, où est-ce qu'on a des politiques de tolérance zéro, qu’on ne ferme pas les yeux sur des situations inacceptables, où est-ce qu'on forme, qu'on sensibilise les gens de manière continue. Donc, je pense vraiment que c'est un endroit où est-ce que tout le monde est bien, confortable, et puis en sécurité.

Margarida

Rouguietta, comment verriez-vous un tel avenir ?

Rouguietta

Oui, c'est vraiment une excellente question. Je dirais que dans le milieu de la pharmacie, de la santé, de manière générale, ce serait vraiment que tous les acteurs, incluant les universités et les associations professionnelles - donc, qu’ils soient devant la parade et qu’ils fournissent des formations et des outils clés en main pour les professionnels qui desservent la clientèle sur le terrain.

Il faut pratiquer une communication inclusive, adapter la gestion des données sur la notion de genre. Offrir, par exemple, du support et des soins orientés vers les patients, les patientes, en fonction de leur culture, comme je le disais au début, et de leur réalité et aussi de leurs besoins. Je pense aussi qu'il faut accueillir la diversité et la mettre de l'avant plutôt que de l'ignorer.

Magaly

C'est extrêmement important parce que présentement, certains milieux – uniquement par conformisme – peuvent adopter certaines politiques en matière d'équité, de diversité, d'inclusion. Donc, c'est important que ce soit vraiment une culture de la diversité, de l'équité, de l'inclusion et non uniquement une politique d'équité, de diversité et d'inclusion.

Margarida

Vous avez toutes les deux amené cette importance d'une culture de la diversité, d'une curiosité authentique, d'une écoute authentique. L'importance aussi de la formation continue, de la sensibilisation. Et donc, est-ce que vous voyez des risques par rapport à nos efforts contemporains pour créer des cultures de l'inclusion?

Magaly

Oui, en fait, je pense qu'il y a plusieurs risques. Il y a le risque d'abord de rendre le tout très normatif et sans nécessairement qu’il y ait une culture, une expérience, de s'attarder à l'expérience, au vécu des professionnels de soins, mais aussi des patients, des patientes et de l'ensemble des autres acteurs qui sont impliqués dans le réseau de la santé. Mais il y aussi un autre risque :  d'oublier certains groupes minoritaires, de perdre de vue certains groupes. Et puis aussi perdre de vue tout ce qui touche la qualité des soins qui sont à faire aux patients. C’est important qu’il y ait un équilibre dans tout ça et de trouver une manière de rendre le tout très complémentaire, très, très… Fluide, ce n'est pas le bon terme, mais s'assurer justement qu'il n'y ait pas trop d'embûches non plus pour l'ensemble des acteurs impliqués.

Margarida

Rouguietta, est-ce vous voyez des risques dans cet effort contemporain, de vraiment créer des cultures d'équité, de diversité, d'inclusion ?

Rouguietta

Absolument. Je pense que le risque demeure vraiment de faire valoir l'importance de l'équité, la diversité, et l'inclusion à l'externe en fait, pour gagner la reconnaissance de ces publics, de ces clientèles, sans nécessairement l'appliquer de manière cohérente à l'interne. Selon moi, c'est vraiment le plus gros risque, et on le voit. Là, ça se voit très souvent en entreprise.

Il faut aussi être inclusif dans nos procédures internes et tenir compte de la diversité de points de vue dans les projets de manière générale; on le sait, la divergence des opinions peut créer une richesse et mener à une avenue non explorée. Mais attention, elle peut aussi nuire aux organisations si on ne respecte pas tous les acteurs impliqués et qu'on ne tient pas compte de leurs différences.

Margarida

Magaly, Rouguietta, je vous remercie infiniment. Vous nous avez vraiment montré comment la diversité est une richesse, n'est pas une menace. Et comment dans le milieu de la santé, le milieu pharmacologique, il y va de la qualité des soins et en bout de ligne, de notre qualité de vie. Merci beaucoup d'être en conversation avec nous à Espaces de courage.

Magaly

Merci beaucoup pour l'invitation.

Rouguietta

Merci beaucoup, Margarida. Merci, Magaly.