Diversité : Le multilinguisme, l’identité et la réalité des femmes doctorantes

 

Avec Margarida Garcia et Lydie C. Belporo

 

Résumé

Margarida Garcia s’entretient avec Lydie C. Belporo, boursière 2021, avocate et criminologue d’origine camerounaise, activement au service de ses collègues doctorantes. Mme Belporo raconte la fascination qu’a suscitée chez elle la découverte des langues autochtones à son arrivée au Canada. Avec ses 200 langues vernaculaires, le Cameroun aurait tout intérêt à valoriser sa propre richesse linguistique. Elle salue également les possibilités qu’ont les gens au Canada d’apprendre le français ou l’anglais au moyen des séjours d’immersion linguistique. Elle invite nos dirigeants à allouer toutes les ressources possibles au vivre-ensemble pour toujours plus d’inclusion, et les institutions comme les médias à mettre de l’avant des acteurs issus de la diversité.

 

 

Transcription

Margarida Garcia : Le poète portugais Fernando Pessoa a dit un jour : « Mon pays est ma langue ». Si on peut bien comprendre sa langue comme un trait identitaire fondamental qui dit quelque chose sur qui nous sommes, cette phrase ouvre la possibilité de se poser des questions tout aussi fondamentales : et si je vis dans plusieurs langues ?  Ou si mon pays qui abrite en son sein une diversité linguistique, qui suis-je alors ?

Parfois l’appartenance linguistique rassemble. Parfois elle divise. Mais elle nous rappelle toujours la diversité du monde et des cultures et la richesse qui émerge du fait de voir le monde et de dire le monde à travers des imaginaires linguistiques distincts. Mon invitée d’aujourd’hui nous aide à réfléchir à ces questions d’une manière unique et ancrée dans son expérience de vie et dans sa recherche de terrain. Je suis ravie de recevoir Lydie Belporo.

Lydie est titulaire d'une maîtrise en droit et d'une maîtrise en relations internationales. Elle a travaillé comme coordonnatrice du projet PREV-IMPACT avec la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violent au Canada avant d’être chercheuse associée pour une étude menée avec l’Organisation internationale de la francophonie. Lydie est présentement candidate au doctorat à l'École de criminologie de l'Université de Montréal. Sa recherche porte sur la gouvernance de la violence extrémiste en Afrique subsaharienne, et elle s'intéresse notamment aux politiques publiques de réintégration d’anciennes recrues du groupe terroriste Boko Haram au Cameroun. En dehors de ses intérêts de spécialisation, elle donne de son temps au sein du Comité-conseil sur l’équité, la diversité et l’inclusion de l'Université de Montréal et elle a fondé un organisme à but non lucratif qui permet aux femmes doctorantes d'avoir une plateforme de réseautage et de collaboration : le Réseau international des femmes doctorantes - RIFDOC. Elle apprécie particulièrement les voyages, la cuisine, les danses traditionnelles, et elle aime surtout passer du temps en famille.

Bienvenue à Espaces de courage, Lydie.

Lydie Belporo : Merci, Margarida. C'est un plaisir pour moi d'être accueillie par vous et puis d'avoir l'occasion d'échanger dans cet espace.

Margarida Garcia : Alors peut-être pour commencer de façon générale, parlez-nous un peu de votre intérêt pour les thèmes de la diversité et de l'inclusion dans votre vie et dans votre recherche, et pourquoi pensez-vous que c'est important d'en parler à partir de cette place ?

Lydie Belporo : Je crois que c'est important de parler de la diversité parce que si on regarde tout autour de nous, tout simplement, elle fait partie de notre quotidien. Le fait d'appartenir à différentes cultures, l'immigration, la diversité linguistique, avec la mondialisation, les NTIC… Je crois que la maxime qui dit que le monde est devenu un village planétaire ou un village « global », c'est une réalité qui est indéniable.

Et je pense qu’aussi, au niveau beaucoup plus personnel, la diversité linguistique et culturelle est inhérente à ma propre trajectoire et puis aussi à mon parcours parce que je suis née au Cameroun, et puis, il y a quelques années, j'ai décidé de poser mes bagages au Canada pour poursuivre mes études supérieures en droit international, et comme je souhaitais étudier en français, l'Université de Montréal me semblait une destination idéale et elle m'a ouvert ses portes. J'ai donc commencé ma maîtrise en droit international là. Donc, à l'occasion de de mes études, de cette immersion académique, j'ai pu rencontrer des personnes qui venaient de différents arrière-plans, qui parlaient d'autres langues, qui étaient issues d'autres cultures puisque les cycles supérieurs à l'Université de Montréal sont quand même un gros carrefour de cette diversité-là, ce qui amène un autre bagage.

Et pour finir, dans ma recherche, je m'intéresse aussi aux questions de violence extrémiste dans le contexte camerounais, mais je suis basée à Montréal. J'étudie la criminologie à partir d'une institution nord-américaine, avec une méthodologie qui est assez propre à ce contexte, donc c'est assez intéressant de voir un peu comment de par ma propre trajectoire, les méthodologies que j'applique pour extraire les données et puis pour les analyser, elles produisent un résultat qui peut éclairer ces enjeux-là.

Margarida Garcia : C'est intéressant ce que vous venez de dire, comment vous diriez que cela a un impact, en fait, cette trajectoire qui est une trajectoire de diversité culturelle, d'immigration ? Comment vous voyez l'impact qu'elle a sur votre méthodologie, sur votre cadre théorique, sur votre recherche en général ?

Lydie Belporo : Alors c'est une très bonne question. Je dirais que l'impact, c'est au niveau de la perception que je pourrais avoir par rapport aux données que je récolte. Disons que j'ai la double casquette d’être à la fois une « insider » et une « outsider » dans le sens où je suis originaire du Cameroun et en plus, la région que j'étudie dans l'extrême nord, elle est aussi rattachée à mon bagage familial, et également, en tant que « outsider » ayant étudié depuis plusieurs années, et installée au Canada, il y a une approche par rapport au terrain qui me permet de pouvoir mettre à distance certains facteurs, les isoler, les comprendre d'une certaine façon. Et en termes de cadre théorique, je pense que mes origines africaines me permettent quand même de pouvoir nuancer d'une certaine façon certaines analyses ou de ne pas nécessairement… D’être plus consciente je dirais d’une certaine façon, de certains biais, de certains angles morts qui pourraient affecter ma façon de lire les données que je vais récolter. Donc, je dirais que c'est plus une posture qui m'amène à avoir une attitude réflexive qui est beaucoup plus consciente, comme je disais, des biais, des angles morts et de certaines spécificités.

Je dirais aussi que c'est une meilleure compréhension du contexte, parce que pour pouvoir analyser, je pense, en profondeur des sujets tels que ceux que j'analyse sur la violence, sur l’engagement des groupes armés, c'est important de ne pas juste prendre un bout de l'histoire puis de bâtir toute une analyse, mais il faut vraiment comprendre le contexte historique, le contexte culturel, pouvoir s'immerger, et je crois finalement que le rapport aussi que je peux avoir avec les gens qui étaient sur le terrain. Je ne dirais pas qu'il y avait une sorte de confiance naturelle, mais j'ai pu constater lorsque j'ai fait mes séjours de recherche et d'immersion sur le terrain, ou peut-être le fait aussi d'être une femme, il y avait comme une ouverture assez facile et une volonté pour les personnes qui voyaient en moi une sœur, une amie d'une certaine façon, une petite maman, de pouvoir se livrer beaucoup plus facilement. Et pour moi, c'est un plus qui me permet justement de pouvoir aller un peu plus loin dans l'analyse que je compte proposer et dans les résultats que j'espère apporter avec ma thèse.

Margarida Garcia : Lydie, dans ce parcours personnel et professionnel, où avez-vous rencontré des obstacles à l'inclusion, que ce soit en matière de langue, de diversité culturelle ou d'autres aspects reliés en fait à la situation personnelle du chercheur ?

Lydie Belporo : Alors quand je réfléchis à cette question, je ne me souviens pas dans mon parcours d'avoir été personnellement discriminée par rapport à ma langue ou à mon origine. Et d'ailleurs, je m'estime très chanceuse d'être dans une ère où on semble davantage s’intéresser à la diversité culturelle, où on semble beaucoup plus être ouvert aux autres. Mais je ne dis pas que c'est une expérience qui a été partagée parce que j'ai côtoyé beaucoup de personnes issues de la diversité pour qui les expériences n'ont pas toujours été positives. Il y a eu des portes fermées, des occasions manquées, une forme parfois de discrimination sournoise qui pouvait même aller jusqu'à des actes de microagression. Donc personnellement, à ce niveau-là, je m'estime chanceuse de ne pas avoir connu des contextes comme ceux-là.

Toutefois, puisque la diversité peut s'entendre de façon assez large, je pense que de par mon expérience, ce que j'ai pu constater, c'était peut-être les limites ou les obstacles lorsqu'on est une femme doctorante et en plus une maman, on n'est pas encore à une étape ou voilà, on va par exemple organiser des conférences et penser avoir une salle de garderie attenante où des jeunes mamans pourraient en même temps participer puis aller récupérer leur enfant, donc ça, c'est dans un monde idéal que ce serait comme ça. Ce n'est pas seulement pour les jeunes mamans doctorantes, mais cela peut s'étendre aux personnes qui ont des maladies ou à des personnes en situation de handicap, et je pense que c'est une réflexion globale qu'il faudrait plus mener au niveau institutionnel, donc en termes d'obstacles que des personnes pourraient rencontrer à cet égard-là. Mais, comme je suis une éternelle optimiste, j'ai pensé plus en termes de solutions. Et donc, durant la pandémie, avec une collègue, on a monté un réseau, virtuel au départ, mais qui avec le temps s'est transformé en OBNL et qui, en ce moment, mène beaucoup d'activités et d'ateliers auprès des femmes doctorantes. C'est le RIFDOC, le Réseau international des femmes doctorantes, avec pour objectif de favoriser l'inclusion des femmes doctorantes, donc on ne se limite pas seulement aux mères qui sont aux études supérieures, mais on veut voir de façon beaucoup plus large pour que les femmes qui rencontrent divers obstacles puissent apprendre à se dépasser, apprendre à collaborer, comment surmonter le complexe d’imposteur donc des ateliers sur la santé mentale, bref, l'idée c'est vraiment de créer une plate-forme ou en tant que femme, on puisse librement parler de ses défis, mais aussi qu'on puisse développer des outils et penser à des solutions qui nous permettent de mieux vivre cette saison où on est aux études supérieures et où on est doctorante.

Margarida Garcia : Donc Lydie, ce que vous venez de nous dire, c'est que, en fait, il y a toutes sortes de situations, de circonstances liées à la situation particulière des personnes, des chercheuses, qui font en sorte que, des fois, il y a des obstacles à une inclusion significative au sein des institutions. Et donc, dans ce travail que vous êtes en train de faire avec vos collègues,est-ce que vous avez rencontré des meilleures pratiques qui, vous jugez, produisent des résultats positifs et concrets d'inclusion de personnes qui sont exclues pour toutes sortes de raisons, et si oui, quelles seraient ces meilleures pratiques ?

Lydie Belporo : Dans le cadre du RIFDOC, en termes de meilleures pratiques, je pense qu'on est encore en train de bâtir cet éventail parce que dans l'idée, pour l'instant, c'est d'abord d'avoir un espace où on peut s'exprimer librement par rapport à ces enjeux-là, et je pense que les solutions doivent se développer d’un commun accord avec les institutions, mais ce qui revient souvent, c'est déjà la reconnaissance de l'existence de ce genre d'espaces et de plateformes qui permettent à ces dernières de pouvoir s'exprimer, et ensuite, il y a aussi l'idée de pouvoir avoir des sondages chaque année qui permettent de répondre à des besoins beaucoup plus concrets parce qu'une solution qu'on développe une année x peut ne pas être valable – on l'a vu avec la pandémie qui a complètement bouleversé nos habitudes – ne pas être pertinente l'année suivante.

Je pense que c'est d'abord le défi d'être à l'écoute et après, de façon plus concrète, lorsqu’on a des personnes qui sont dans des situations familiales beaucoup plus complexes et moins linéaires que serait la trajectoire d'une personne seule qui n'a que ses études comme centre d'intérêt ou obligation, je pense que c'est de penser aussi comment intégrer cette dimension-là, familiale, dans les parcours. On a vu, par exemple, lors d'un atelier, une chercheuse qui disait que cela pouvait être intéressant dans les CV, lorsqu'il y a par exemple un congé de maternité qui a eu un impact sur la production littéraire, et qu’on n'a pas nécessairement publié d’articles, on n'a pas participé à des conférences, que ce ne soit pas un handicap ou un frein plus tard, pour la reconnaissance de sa pertinence universitaire, qu’on puisse être évaluée sur d'autres critères. Donc à ce niveau-là peut être, de revoir en termes d'inclusion, de favoriser la prise en compte, pouvoir mieux évaluer ou apprécier ces « gaps », si je peux le dire ainsi.

Aussi pour les femmes par exemple, quelque chose qui revenait souvent, c'est le besoin en termes de pratiques, de favoriser la collaboration, parce qu'il y a beaucoup d'études qui démontrent qu’il y a beaucoup plus de collaborations qui se font entre hommes et donc plus d’articles publiés à ce niveau-là par rapport aux femmes, qui ont moins tendance à collaborer. Donc, au niveau des laboratoires, au niveau des départements, peut-être de créer des systèmes, des programmes qui permettraient que des étudiantes doctorantes puissent se mettre en duo ou même des coopérations interfacultaires, pas seulement au sein d'une même université, mais au-delà du RIFDOC, je pense que des pratiques qui produisent des résultats positifs en termes de diversité culturelle, c'est vraiment la vulgarisation des connaissances de ces enjeux-là.

J’ai pu noter qu’il y a beaucoup de projets de balados qui se sont développés ces dernières années, d'ailleurs, celui-ci en est un et je suis vraiment contente d'avoir la possibilité justement d'avoir un espace qui me permette de pouvoir échanger sur ces sujets-là, et en plus on le fait en français, il y a le balado par exemple, On est 33 millions du Centre de la francophonie des Amériques, qui aussi très intéressant et qui permet justement de pouvoir démontrer la diversité et la vitalité de la francophonie au niveau des Amériques. Il y a différents projets comme ça qui permettent l'immersion linguistique, des échanges culturels qui sont des façons beaucoup plus pratiques, je pense, de pouvoir faire mieux connaître la diversité et puis de susciter aussi des intérêts de part et d'autre.

Margarida Garcia : Lydie, vous nous avez parlé de votre expérience d'immigration, originaire du Cameroun, un pays aussi qui a une diversité linguistique en son sein extrêmement importante, et vous êtes arrivée au Canada, un pays qui a aussi une diversité linguistique importante en son sein. Donc parlez-nous un peu de cette rencontre de deux diversités, celle du Cameroun, celle du Canada, comment vous les avez vécues ?Est ce qu'il y a des différences significatives entre ces types de diversité linguistique ? Comment vous avez vécu cela ?

Lydie Belporo : Très bonne question, Margarida. En plus de la diversité culturelle, je dirais d'abord que à mon arrivée, j'ai aussi vécu un choc quand même thermique parce que je suis arrivée en février – n'ayant jamais connu l'hiver, cela a été toute une expérience – mais en plus de pouvoir m'intégrer dans un contexte qui est quand même assez différent parce que le Cameroun, certes, est un pays où il y a une certaine diversité culturelle parce qu’en plus du français et de l'anglais, qui sont les langues officielles, il y a près de 200 autres langues vernaculaires qui sont parlées par différents groupes ethniques.

Je dirais qu'au Canada aussi, c'est une autre forme de diversité, bien que le français et l'anglais soient les langues officielles, il y a aussi toute la dimension historique, la présence des langues autochtones, qui m'a beaucoup fascinée à mon arrivée ici, donc d'être ouverte à ce monde-là m’a amenée à comprendre l'importance de connaître son histoire, de savoir d'où on vient, mais aussi de pouvoir mieux apprécier justement la présence de ces différents groupes, de comprendre aussi l'importance de la langue anglaise parce que je dois vous avouer que quand j'étais au Cameroun, c'est un peu par obligation, en dehors d'avoir un intérêt propre pour la langue anglaise, qu'on apprend à l'école secondaire et au primaire, il n'y avait pas nécessairement d'espaces comme des séjours d'immersion qui nous poussent à nous intéresser à la culture anglophone au Cameroun, et donc, j'ai été très surprise quand je suis arrivée ici, de savoir qu’il y avait des programmes gouvernementaux qui permettaient de financer des séjours pour les personnes intéressées, pour apprendre que ce soit l'anglais ou le français et donc, de voir aussi toute l'importance, le fait qu'il y ait des revendications quand même assez fortes pour conserver le bilinguisme institutionnel, le français et l'anglais. Cela m'a donné d'apprécier et de voir à quel point, lorsque deux langues coexistent, cohabitent, il peut y avoir des défis, mais ça peut aussi être une occasion incroyable, et bien sûr, les langues autochtones qui ne sont pas en reste et on parle beaucoup ces derniers temps de revitalisation, de l'importance…  Et je crois que c'est quelque chose qu'on gagnerait à faire. Et donc cette diversité-là, elle nous ouvre, elle nous permet d'explorer d'autres horizons et définitivement, vous avez dit le mot, élargit nos perspectives.

Margarida Garcia : Lydie, donc, le multilinguisme, selon que ce que vous êtes en train de dire, vous le voyez comme une plus-value à l'égard de la promotion de la diversité et de l'inclusion, est-ce que vous le voyez aussi comme une plus-value à l'égard, par exemple, de l'exercice du leadership ? Comment voyez-vous ça ?

Lydie Belporo : Absolument. Je pense que le multilinguisme – on peut parler du plurilinguisme et même de l'interlinguisme – il y a toutes sortes de mots et un éventail d’expressions pour nous permettre de comprendre l'intérêt de parler diverses langues, de s'intéresser à d'autres cultures, je pense que c'est une plus-value. Il y a d'énormes aspects positifs. Il y a par exemple un article très intéressant qui a été écrit par Enrica Piccardo dans la revue Voix plurielles en 2016, qui est titré La diversité culturelle et linguistique comme ressource à la créativité. J'ai trouvé cet article très intéressant parce que justement, il met en lumière de quelle façon le plurilinguisme ou le pluriculturalisme a de nombreux avantages en termes de créativité, la souplesse mentale, l'adaptabilité, on a de meilleures facultés d'apprentissage, on a une facilité à avoir une communication interpersonnelle, donc en gros, il y a des ressources infinies lorsqu'on s'engage dans ces voies-là, dans ces chantiers- là, mais c'est aussi important de reconnaître que la coexistence, comme je le mentionnais, de plusieurs langues et de plusieurs cultures, peuvent venir avec de nombreux défis.

Pas très loin de nous, au Canada, je le mentionnais, la question de la place du français fait quand même couler beaucoup d'encre. On voit qu'il y a toujours beaucoup de défis pour la mise en œuvre de façon effective du bilinguisme institutionnel, mais sous d'autres cieux, ce n'est pas seulement de l’encre que ça fait couler, c'est parfois du sang.

Donc c'est le cas par exemple au Cameroun, où malheureusement depuis 2016, il y a un conflit armé entre le gouvernement central, qui est majoritairement francophone, et des factions séparatistes dans les régions anglophones, qui réclament sécession. Et tout cela est parti Margarida, juste parce que, au début, c'était des revendications très légitimes des populations qui estimaient qu'elles étaient marginalisées du fait qu’elles parlaient anglais, sous-représentées dans l'administration, elles avaient moins d’accès à l'emploi, mais ce conflit et ces revendications ont été récupérés par des factions armées et aujourd'hui, on en vient au point où il y a des civils qui sont tués juste parce que dans des régions, il y en a qui parlent anglais et ailleurs c'est le français. Donc, ça peut vraiment aller beaucoup plus loin. D'où l'importance, je pense, d'asseoir une bonne communication, de préserver les identités nationales tout en favorisant la cohésion, mais aussi de donner une place qui, je crois, est importante à toute la diversité qu'on peut avoir dans un pays, parce qu’au-delà du français et de l'anglais, qui sont les langues officielles, comme je le mentionnais, au Cameroun, il y a quand même plus de 200 langues vernaculaires, mais qui ne sont malheureusement pas enseignées à l’école et qui ne sont pas, d'une certaine façon, valorisées. Or, je pense que le fait de les valoriser, cela pourrait, d'une certaine façon, quand même offrir des voies alternatives qui permettent de garantir l'unité nationale.

Margarida Garcia : Lydie, j'aimerais beaucoup vous entendre sur votre regard par rapport aux pratiques et politiques contemporaines où on met au centre des institutions la problématique de l'équité, de la diversité et de l'inclusion. Comment vous voyez ces efforts ? Sommes-nous sur le bon chemin, selon vous ?

Lydie Belporo : Parce que je suis une optimiste super convaincue, je pense que c'est très encourageant et c'est tout à fait louable, la nouvelle dynamique dans laquelle la société contemporaine s'inscrit. Mais je pense que c'est aussi important de vraiment le faire avec sincérité, pas juste parce qu'on veut atteindre certaines statistiques, parce qu'on veut cocher des cases, mais parce qu’on veut sincèrement s'intéresser à l'autre, à son vécu, à son contexte, et qu'on veut valoriser cette différence. Et donc, je pense que ce sont des politiques qui ont tout à fait intérêt à rester pérennes parce que je crois que chaque personne est vraiment unique. On a notre propre trajectoire, on a des contextes qui sont particuliers, qui sont singuliers et donc, on a tout à fait intérêt à dépasser les stéréotypes, à dépasser des raccourcis pour pouvoir explorer dans toute sa complexité le vécu de chacun et vraiment tirer les ressources qui peuvent être mises à contribution pour que, ensemble, on puisse construire la société dans laquelle on veut vivre et dans laquelle on veut que nos enfants puissent s'épanouir.

Margarida Garcia : Lydie, vous nous amenez maintenant dans cet avenir à construire. Un avenir où les personnes se sentent parties intégrantes de la société, où elles participent de façon égalitaire et équitable. Si on imagine cet avenir dans lequel une culture du respect de la diversité et de l'inclusion est un fait accompli, de quoi cela aurait l'air selon vous ?

Lydie Belporo : Ce serait un monde vraiment parfait, Margarida, mais on peut l'espérer. Donc, pour moi, ce serait un monde dans lequel toutes les langues et les cultures se valent, du moins qu'elles puissent être respectées et considérées sur une base égale, ce serait aussi un monde, par exemple, où on aurait des présentateurs télé issus de tous les groupes de la diversité, où ce ne serait pas juste une exception.

Ce serait un monde où on peut être fier de son accent, malgré sa différence. Ce serait vraiment un monde où le mérite serait inclusif sans pour autant diminuer les compétences et la richesse de tout un chacun. Donc, ce serait un monde où on saurait être fier de s'ouvrir à l’autre. Et je terminerais avec cette belle citation d'un auteur que j'aime beaucoup, le philosophe Souleymane Bachir Diagne, qui dit, de façon résumée, que ce serait un monde où on pourrait apprendre à « faire humanité ensemble ».

Margarida Garcia : Lydie, c'était une façon extraordinaire de terminer. Par ailleurs, étant moi-même une immigrante qui a un accent dans toutes les langues que je parle, presque, je peux très bien voir comment un monde comme ça serait accueillant. Donc, merci beaucoup d'avoir passé ce temps avec nous et merci d'être à Espaces de courage.

Lydie Belporo : C'est moi qui vous remercie.