Épisode #2 - Collaboration et communication, partage et démocratisation des savoirs

 

Animatrice : Pascale Fournier 

Invitée : Sophie Thériault

 

Résumé

La présidente et cheffe de la direction de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, Pascale Fournier, s’entretient avec Sophie Thériault, coprésidente du Comité du réseau des ancien.nes de la Fondation, pour présenter la série de balados Espaces de courage et le deuxième épisode, intitulé « Collaboration et communication, partage et démocratisation des savoirs ». Elles orientent les échanges de la série de balados à venir en décrétant que les milieux de la recherche et du savoir doivent évoluer vers une plus grande ouverture afin de favoriser la démocratisation des savoirs et une mise en commun de leurs retombées.
 

Transcription

Introduction :

Sophie Thériault
Je vous souhaite à toutes et à tous la bienvenue à cette série de balados de la Fondation Pierre Elliott Trudeau portant sur la communication et le partage du savoir, un des concepts clés du programme de leadership de la Fondation.


Pascale Fournier
Alors Bonjour Sophie, je suis très heureuse qu'on puisse avoir cette conversation aujourd'hui sur notre tout nouveau balado qui portera sur la communication et le partage des connaissances. Notre objectif aujourd'hui sera de discuter de trois sujets. Tout d'abord, notre programme de leadership à la Fondation : un programme qui se distingue par son innovation, mais aussi par l'importance qu'on accorde à la démocratisation du savoir. Deuxièmement, sa pertinence dans le milieu universitaire où de plus en plus, on se pose de grandes questions sur la liberté académique. Et troisièmement, son urgence dans le contexte actuel de la société, où on vit une très grande polarisation au sujet de grands débats intellectuels qui touchent notre vivre ensemble.

Alors Sophie Thériault, tu es coprésidente du Comité exécutif du Réseau des anciens et anciennes de la Fondation Pierre-Elliott Trudeau. J'aimerais d'abord te remercier pour ton engagement et ton dynamisme dans ce rôle. Et cette série de balados réunit plusieurs de nos anciens, de nos anciennes, à qui on pose des questions sur l'importance de la démocratisation des savoirs. Permets-moi tout d'abord de parler un peu de notre curriculum sur le leadership. En 2018-2019, la Fondation est allée à la rencontre des Canadiens et des Canadiennes de par les forums du futur. On a visité toutes les provinces, tous les territoires et on demandait aux gens qu'on invitait – autant nos anciens, nos anciennes qui sont venus, qui ont participé, mais aussi des représentants du secteur privé, du secteur gouvernemental, du secteur communautaire, du secteur universitaire –, on leur demandait qu'est-ce qu'un leader engagé et quelles sont les qualités essentielles à un leader, un intellectuel ou une intellectuelle publics, qui cherchent à avoir une influence véritable dans le monde.

Cette tournée pancanadienne, d'écoute, d'humilité aussi, nous a permis d'identifier six valeurs de leadership qui sont clés pour nous à La Fondation. Vraiment notre programme de leadership s'inscrit et reproduit, si on veut, ces six valeurs. Il s’agit de l'audace et la ténacité, de la communication et du partage des connaissances, de la créativité et l'innovation, de la diversité, de la collaboration et du sens du service. Alors pour nous, une ancienne comme toi, qui as ce rôle de coprésidente de notre Comité exécutif des anciens des anciennes, qui est présentement vice-doyenne à la Faculté de la section de droit civil de l'université d'Ottawa et qui a toute une grande carrière, également comme chercheure, tu es très bien placée pour pouvoir peser le pouls en fait, de ce milieu universitaire; où en sommes-nous, où se dirige-t-on aussi dans l’avenir, alors je commencerais par cette question importante : « Pourquoi la communication, le partage des connaissances ? Pourquoi la démocratisation des savoirs est-elle importante sur la base de ce que tu constates, de ce que tu vois dans ce milieu qui est très en mouvance en ce moment ? »

Sophie Thériault
Merci beaucoup, Pascale. C'est un grand plaisir d'animer cette série de balados qui me semble tout à fait essentielle pour réfléchir à l'importance de la communication, mais aussi à la manière de communiquer de manière claire, de manière efficace pour maximiser les retombées de la recherche. Et ce, avec des anciens et anciennes de la Fondation, qui sont des communicateurs absolument hors pair et qui vont discuter avec nous de l'importance de la bonne communication, de ses fondements, de ses conditions. Donc, je me réjouis à l'avance de pouvoir entretenir ce dialogue avec d'autres anciens-anciennes de la Fondation.

Pascale
Merci, Sophie. Je me pose la question suivante. Pendant un certain nombre d'années, on se disait : « On produit de la recherche de haut niveau sur le plan scientifique, dans les milieux universitaires. L'important, c'est de savoir la diffuser ou la vulgariser de manière accessible pour le grand public. Est-ce qu'il n'est pas plutôt temps d'être à l'écoute dès le moment où on pose les questions scientifiques, c'est-à-dire pas en fin de parcours lorsque la recherche a été produite. Et là, il ne s'en tient qu'à la vulgariser ou à la diffuser. Mais est-ce qu'il n'est pas important de créer des ponts, d'ouvrir un dialogue avec des publics cibles divers comme le milieu communautaire, le milieu corporatif, le milieu gouvernemental, les milieux à l'extérieur du milieu universitaire ? Est-ce qu’il n'est pas important de tisser ces liens-là dès le début, par exemple d'un doctorat ou d'un diplôme quelconque, pour mieux comprendre et peut-être cibler nos questions universitaires ? Est-ce qu'on en est là dans notre réflexion, selon toi ?

Sophie
Il est important que la recherche demeure rigoureuse, demeure excellente. Mais pour être excellente, la recherche doit également être pertinente. Donc, pour assurer la pertinence de la recherche, il est important d'aller au-devant de divers publics susceptibles d'être affectés par la recherche en amont plutôt qu'en aval du processus de recherche. Donc les membres de la communauté, les acteurs, qu'il s'agisse de gouvernement, d'entreprise, d’ONG, de citoyens, peu importe, selon le sujet, la thématique de la recherche, sont également porteurs de savoir. Ils sont porteurs de savoir par l'observation qu'ils font au quotidien. Et ses connaissances sont essentielles et complètent celles du chercheur qui va pouvoir observer ensuite, à travers ces outils théoriques, ces outils méthodologiques des phénomènes qui auront été informés par d'autres porteurs de savoir. Donc, les savoirs construits de cette manière-là en dialogue avec l'autre vont être davantage pertinents, vont permettre de cibler les problèmes réels comme ils sont perçus sur le terrain. Mais également, les résultats de la recherche, parce qu'ils sont plus pertinents, vont certainement avoir de plus grandes répercussions.

Pascale
Donc, Sophie, cette démocratisation des savoirs permet de produire une meilleure recherche parce que lorsqu'on est accessible, lorsqu'on est à même de bien communiquer et de partager les connaissances, ces dernières seront réappropriées par des acteurs, des leaders sur le plan local, le plan national, et on va pouvoir le constater à quel point cette recherche va pénétrer les systèmes. C'est également ce qu'on veut.

J'aurais une question par rapport au choc des idées. Lorsqu'on parle de communication, de partage des connaissances, on vit en ce moment dans le milieu universitaire une période quand même trouble, qui rejette d'une certaine façon le choc des idées. La Fondation Pierre Elliott Trudeau, lorsqu'elle a été créée il y a vingt ans, c'était l'intention de départ. Notre propre Constitution interne, c'était le choc des idées. Pierre Elliott-Trudeau qui était un homme d'idées et un homme d'action, dans cette mouvance actuelle d'une grande polarisation dans le milieu intellectuel, la Fondation s'est définie par de ce qu'on appelle les Espaces de courage.

Donc nous sommes très transparents sur le fait que lorsqu'on fait partie de la Fondation, on doit s'attendre à ce choc des idées par intention. Nous invitons ce choc des idées et on demande à nos boursiers et boursières, dans le cadre de ce curriculum de leadership, d'apprendre de façon respectueuse à accueillir des idées qui sont des idées avec lesquelles ils ne sont pas nécessairement ou elles ne sont pas d'accord et à prendre cela comme un défi.

Alors, ma question pour toi, comment, dans ce milieu universitaire que tu connais bien (qui est, bien sûr, en lien avec la société au sens plus large) comment trouver des solutions pour accueillir ce choc des idées, pour créer des espaces de courage, si tu peux commenter ce moment historique ?

Sophie
Le choc des idées est un passage absolument essentiel pour devenir un chercheur, un leader engagé et pour que la recherche puisse avoir réalisé le potentiel transformateur qu'elle recèle. En fait, le programme de leadership de la Fondation qui a évolué depuis que je l'ai fréquenté, comme doctorante… Ce qu'il m'a apporté a été une expérience transformatrice parce qu'on m'a obligée bien souvent au travers des activités de la Fondation, à pénétrer une zone d'inconfort. Une zone d'inconfort qui a pu être déstabilisante mais qui m'a aidée à pouvoir mettre mes idées en perspective, à pouvoir me remettre en question, à pouvoir mieux définir, mieux préciser mes idées, à apprendre à communiquer clairement, à apprendre par ailleurs à écouter, à faire preuve d'ouverture et grandir en fait avec les autres et à apprendre à gérer la critique.
Dans le monde dans lequel on vit, où les communications ont considérablement changé, se trouvent dans l'espace public, où l'intellectuelle, la chercheuse est de plus en plus impliquée dans le débat public, il devient essentiel d'être en mesure de participer à des conversations difficiles dans l'espace public, à faire face à la critique, être capable de répondre de manière de manière nuancée pour faire valoir nos position de manière plus claire, de manière mieux justifiée et de ne pas personnaliser l'ensemble des débats. Donc, je pense que cette expérience de passage, au travers de zones d'inconfort, de choc des idées, a fait de moi une chercheuse beaucoup plus réflexive et m’a peut-être également amenée à faire preuve d'humilité. On comprend que nos savoirs sont limités quand on est confronté avec d'autres porteurs de savoir qui ont leur propre perspective, et vont parfois éclairer nos angles morts.

Pascale
Merci, Sophie. Il me semble y avoir un certain paradoxe que nous vivons ici à la Fondation. Le fait que les chercheurs, surtout sur le plan doctoral, qui s'inscrivent au cœur de recherches très pointues, très ciblées. Donc déjà, ils et elles sont dans une faculté donnée, ensuite dans une discipline, une sous-discipline, une thèse de doctorat où il faut identifier une problématique précise, presque sur un plan micro.
Une fois que cette recherche est produite, elle est terminée... On a terminé la thèse, on demande aux chercheurs de rendre cette recherche accessible et de naviguer au cœur
du macro. De pouvoir discuter avec autant le secteur gouvernemental, communautaire, etc. Est-ce que le milieu universitaire devrait être appelé à changer ?

C'est-à-dire que nous, à la Fondation, on le fait dès le début de leur recherche doctorale, on tente d'amener une boîte à outils qui ne semble pas être présente au cœur du milieu universitaire pour toutes sortes de raisons. Et on veut pallier ça en les accompagnant de façon très proactive pendant les trois années qu'ils sont avec nous à la Fondation.

Est-ce que selon toi, le milieu Universitaire devrait changer pour être peut-être plus à l'avant-garde pour permettre ces espaces de courage, pour permettre cette démocratisation du savoir ? Et on le sait, la recherche scientifique pure est très valorisée et c'est beaucoup moins valorisé au sein des universités pour obtenir la permanence, pour obtenir le statut de professeur titulaire, beaucoup moins valorisé, de publier des articles d'opinion, de donner des entrevues dans les médias. On semble croire encore de façon très traditionnelle que ce n'est pas équivalent d'une certaine manière à produire des articles scientifiques dans des revues avec comité de lecture.
Le milieu universitaire devrait-il changer ?

Sophie
Tout à fait. Le milieu universitaire est encore très traditionnel. En fait, les programmes doctoraux ont très peu changé dans les universités que je connais par rapport au programme doctoral que j'ai moi-même suivi. Ce sont des programmes qui s'attachent principalement à développer des habiletés en recherche, des compétences en recherche qui sont essentiels, mais qui ne sont pas suffisantes compte tenu des attentes de la société, des institutions aujourd'hui à l'égard des chercheurs. Les chercheurs sont encore évalués, même après la thèse, à l'aune des critères toujours très traditionnels de la recherche. Donc, c'est des critères de quantité : combien publie-t-on ou ne comptent que les publications qui sont reconnues ou les plus reconnues par les pairs.

L'excellence se mesure généralement de manière très quantitative à travers différents facteurs d'impact. Et ce n'est pas anodin parce qu'il y a un effet pervers à ce modèle d'évaluation de l'excellence et qui est celui de confiner des chercheurs. Et je pense surtout à des jeunes, à de jeunes chercheurs qui ont pu diffuser leur savoir largement par différents modes avant d'entrer à l'université, mais qui, de crainte de ne pas gravir les échelons universitaires,  de crainte de ne pas obtenir la permanence et ensuite, la titularisation, vont entrer dans ce modèle plus traditionnel de production de la recherche, qui confine le chercheur à l'intérieur des murs de l'université – et sa recherche également – dans des réseaux universitaires. Donc, c'est un modèle qui tend à produire du savoir pour les universités à l'intérieur des universités. C'est un modèle qui est de plus en plus remis en question. D'abord, parce que les attentes du monde extérieur à l'égard des chercheurs y sont. On pense aux grands organismes subventionnaires qui ont pris les devants. Le CNRC préconise des modes de diffusion du savoir qui ne sont pas traditionnels, cherche à extraire le chercheur de l'université pour l’amener à être davantage en dialogue avec la société. Les attentes du public également, de la société, des acteurs, qui veulent de plus en plus participer à la recherche et pouvoir s'approprier les résultats de recherche, imposent une pression toujours accrue à changer ces modèles traditionnels. Et on peut également penser à une pression de plus en plus grande des chercheurs et des chercheuses eux-mêmes, qui ont davantage de satisfaction à exercer une recherche plus engagée, à produire des résultats de recherche qui ont des retombées beaucoup plus grandes, qui seront mesurables de manière très tangible auprès des acteurs qui ont bénéficié de la recherche.

Donc, pour que l'université conserve sa pertinence dans un contexte où il y a de plus en plus de méfiance à l'égard des élites, y compris des élites universitaires, je pense qu'il est essentiel que l'université s'ouvre à la recherche collaborative avec les autres acteurs sociaux.

Pascale
Merci, Sophie. On constate également que pour traverser une période aussi difficile que la pandémie, qui a touché bien sûr le Canada, mais le monde entier… Là, on parle de tout le monde. Il fallait mobiliser la population, pouvoir au quotidien, expliquer ce qui se passe, la nécessité que tous les êtres humains participent d'une certaine façon à combattre cette pandémie par nos gestes, par notre compréhension. C'est une grande leçon d'humilité. La science était au cœur de cette pandémie, mais pas seulement de la comprendre mais de pouvoir agir. Alors le monde des idées n’est pas très loin du monde de l'action aussi, mais encore faut-il avoir ce climat de respect et ce climat de confiance à l'endroit des chercheurs, à l'endroit des intellectuels. Et on a pu le constater, ce n'est pas gagné d'avance. Au contraire, cette polarisation qui semble permanente… et de voir le silence qui s'installe entre des groupes. Certains accuseraient le milieu universitaire ou le milieu scientifique d'être un milieu d'élite, un milieu qui n'est pas accessible, un milieu où on dit aux autres quoi faire, comment faire.
Alors vraiment, il y a beaucoup d'efforts, je crois... 

On devrait avoir un dialogue qui est ouvert à toute la population, et on semble encore loin de cet objectif. Donc, on va avoir besoin de leadership (rire) au sein des institutions au sein du milieu universitaire pour redéfinir autrement la recherche, pour redéfinir cette importance, de démocratiser les savoirs et de créer des liens, un dialogue, un climat de confiance. Et être proactif dès le départ et vraiment rendre ce milieu des savoirs accessibles par les articles d'opinion, par les entrevues, par les tables rondes, où on invite le public.

Nous, à la Fondation, on demande à nos boursiers-boursières chaque année, non seulement de participer à notre programme de leadership où les acteurs, les leaders locaux nationaux sont présents, alimentent les discussions, mais également de diffuser leurs recherches ou même leurs questions de recherche, parce qu'ils n'ont pas encore rédigé leur thèse, mais de créer des occasions de dialogue avec le secteur communautaire, gouvernemental, grand public ou secteur privé, dès le départ.

Alors pendant trois ans, ça peut te permettre de mesurer la pertinence de ta recherche. Est-ce ce qu'on comprend quand tu parles ? Est-ce que c'est clair? Il n'y a pas d'autres questions que tu peux te poser ? Donc c'est tout une aventure pour la Fondation. Mais je suis très heureuse de voir qu'on aura une série de balados.

Tu es la meilleure personne pour alimenter ces discussions en raison de ton rôle, comme ancienne boursière, comme coprésidente de notre Comité exécutif des anciens, des anciennes, mais aussi le rôle où les rôles de leadership que tu as exercés tout au long de ta carrière universitaire, comme vice-doyenne, mais aussi comme chercheure, qui est vraiment un modèle de démocratisation des savoirs.

Alors merci beaucoup, Sophie. Dernière question, Sophie. Pourquoi il est important de réaliser ce balado qui porte sur la communication et le partage de savoir ?

Sophie
Un balado sur la communication et le partage du savoir est également important puisque c'est encore aujourd'hui dans le monde de la recherche… Les chercheurs sont appelés à diffuser le savoir, principalement au travers des modes plus traditionnels, par la publication de livres, de revues scientifiques, et donc, de réfléchir ensemble, d'entendre différents spécialistes, différentes personnes, qui se démarquent particulièrement dans le milieu du savoir pour leur capacité à communiquer leur savoir, à partager leurs recherches au-delà des murs de l'université, auprès de publics plus larges, permettra d'amener l'ensemble des chercheurs à réfléchir quant à la manière d'accroître l'incidence de leurs recherches et de diffuser leur savoir de manière à permettre une plus grande appropriation de celles-ci par le public, en général.

Pascale
Merci beaucoup.